samedi 20 février 2010

A la recherche de David Lynch

Ca avait pourtant mal commencé. J'avais bien vu Elephant Man en VHS loué au vidéo club et il fallait bien reconnaître le savoir faire du réalisateur, mais l'extrême pathos du film était difficilement supportable. J'étais aussi resté totalement hermétique face aux vers géants de Dune. Blue Velvet était un film plus fun mais trop maniéré pour totalement me convaincre. Et puis j'avais du enregistrer Eraserhead à la télé, son 1er film, l'oeuvre culte qui l'a fait connaître. Quelle épreuve, j'ai du le voir en 10 fois, mais je l'avais vu... 1990, sortie de Sailor & Lula qui vient de remporter la palme d'or à Cannes. Je me souviens y être allé un samedi après midi au cinéma Le Dragon à La Rochelle avec mon poteau Christophe C. (c'était l'époque où on jouait aux échecs comme des mabouls!). Je me souviens aussi très bien avoir détesté ce film, il n'y a pas d'autres mots! C'était une insuportable parodie de film noir avec quantités de clichés et autres gimmicks (les gros plans sur les cigarettes s'allumant m'avaient rendu fou!). Le dossier Lynch était classé, c'était clair dans mon esprit, David Lynch était un mauvais réalisateur et je ne l'aimais pas! Je pensais comme Bukowski qui écrit dans son roman Hollywood à propos de Lynch et Isabella Rossellini qu'il croise sur le tournage de Barfly un truc du genre:"j'avais l'impression qu'ils se croyaient supérieurs à moi mais je m'en foutais car je savais que j'étais supérieur à eux".

Et puis le buzz est arrivé progressivement. La série Twin Peaks venu des Etats-Unis était un "truc" qui aller révolutionner la télévision. Et en plus c'était génial! J'avais entendu ça dans l'émission de Bernard Lenoir. C'était une série conçu par David Lynch. La série allait être diffusée en France sur la 5 de Berlusconi! Ce soir là d'avril 1991 j'étais seul à la maison et n'avait pas encore fait mon choix. Il y avait un super film sur une chaîne et le 1er épisode de Twin Peaks sur la 5. Je zappais entre les 2 chaînes quand soudain 2 notes de basse et une nappe de synthétiseur m'aspirèrent dans un tourbillon merveilleux dont je ne pouvais me défaire. Mystères à Twin Peaks venait de commencer sur la musique magique d'Angelo Badalamenti et les vocalises éthérées de Julee Cruise. Inutile de vous dire que j'ai laché rapidos la télécommande et n'ai pas raté un épisode pendant 6 mois. Cette série était devenue une veritable drogue! Un feuilleton fantastico poetico policier loufoque avec une galerie de personnages pour le moins rejouissante... Mais qui avait tué Laura Palmer???
A la fin de sa vie Francis Bouygues decida de produire des "films d'auteurs" par le biais de la socièté CIBY 2000. En plus de Talons Aiguilles et La Leçon de Piano il produisit le nouveau long métrage de David Lynch. Celui-ci choisit de faire une version cinéma de Twin Peaks. Il semble que Lynch ait eu une totale liberté pour faire ce film et il s'en donna à coeur joie. Une actrice principale de la série remplacée par une jeune inconnue pour reprendre son rôle mais c'est dans le style qu'il se lacha le plus. Le film se passait avant le début de la série et ne reprenait pas son personnage le plus charismatique: l'agent spécial du FBI Dale Cooper! Et il se permettait même de placer une séquence extrème de night club de 10 minutes sur une musique hypnotique au milieu du film. C'est ça que j'avais préféré mais le film avait laissé tous les fans de la série terriblement frustrés. Ca n'avait rien à voir! Décidément, au moment où j'avais renoué avec Lynch il me laissait en rade.

Nous sommes en 92. Beaucoup oublie Lynch qui se consacre à des tas de projets parallèles... Les années passent jusqu'en 1997 quand on ré entend parler de David Lynch en tant que metteur en scène de cinéma. Son nouveau film s'appelle Lost Highway et les critiques sont bonnes. Rendez vous est pris avec Olbal, fan de toujours de Lynch lui, et Anne pour aller voir le film ensemble à La Rochelle. Double surprise il passe au multiplexe du méga CGR dans la plus grande salle, celle où on programme les grosses productions! Face à l'écran géant on en a pris plein la gueule. Assis dans les premiers rangs d'une salle quasi deserte ce samedi soir je dois avouer que j'ai assisté à un choc cinématographique. Celui en qui je ne croyais plus venait de révolutionner le récit cinematographique dans un film noir enigmatique, fascinant et jubilatoire! Quel bonheur, c'était maintenant clair dans mon esprit, l'homme qui avait conçu la série Twin Peaks et Lost Highway était un grand! Plus d'ambiguités possibles. Comme pour tous les chef d'oeuvres on l'avait vu venir dés le générique, la vision syncopée de la route américaine de nuit avec la double bande jaune sur fond du bien nommé "I'm deranged" par David Bowie. Anne avait eu du mal quand même. Surtout avec le personnage de nain maléfique (face de craie) interprété par Robert Blake (depuis il a tué sa femme pour de vrai et a été acquité et Spector et Polanski ont aussi payé pour lui...) qui se téléphone à lui même dans une séquence d'anthologie. La grande affaire du film c'était qu'au milieu du récit le personnage du film devenait un autre sans raison apparente et ça fonctionnait. Après ça on a bu des bières pour se calmer. En plus j'ai commencé a admirer le dandy Lynch avec sa coiffure improbable, son pantalon de toile à pince, son blazer et sa chemise, détail qui tue, fermée jusqu'au dernier bouton. Les interviews qu'il donne à la presse sont également un plaisir avec sa vision énigmatique et amusante des choses. Il va enchaîner avec un très beau petit film qui n'est pas un scénario personnel, Une histoire vraie. Je découvre en lisant les reportages et interviews que Lynch vivrait et aurait ses bureaux dans un ensemble de 3 maisons dans les collines hollywoodiennes dont l'une est celle ultra-moderne que l'on voit dans Lost Highway. J'avais d'ailleurs flashé sur cette maison en regardant le film.

2001, le nouveau film de Lynch, Mulholland Drive, est présenté à Cannes où il obtient le prix de la mise en scène. C'est une adaptation cinématographique d'un projet de série TV avorté. Du jamais vu comme concept et c'est produit par des français. A l'automne le film sort dans les salles auréolé d'une sacrée réputation. Je vais le voir en avant première à L'Arlequin rue de Rennes. C'est un nectar enivrant sur Hollywood, face lumière et face sombre, où tous les ingrédients Lynchiens (c'est désormais un adjectif) s'entremêlent à merveille en défiant les lois du réalisme. Je vais le revoir 2 fois dans les jours qui suivent dans des salles différentes et la magie opère à chaque fois. Je dévore toute la presse concernant le 1er grand film du nouveau millénaire. J'écoute la formidable B.O., une fois de plus, du compositeur attitré Angelo Badalamenti. Et je placarde même l'affiche géante dans ma chambre!
Dans une interview bonus d'un DVD Lynch parle de son amour pour la lumière de Los Angeles. J'avais ressenti ça dans les films ou à la télé sans être jamais allé à L.A. mais il est le premier à formuler clairement cette pensée. Ca me plaît! Quand au printemps 2006 je pars dans mon pèlerinage californien, Lynch fait parti des étapes incontournables. J'ai bien relu mes archives.
"ces hauteurs ont un nom: Outpost" Cahiers du cinéma spécial Lynch, 1999; "en contrebas de Mulholland drive" Télérama 1999. J'avais bien choisis mon hotel à Los Angeles, sur Franklin avenue, à 50 métres de Outpost drive! Sur le plan de la ville tentaculaire Outpost drive serpente dans les collines jusqu'à Mulholland drive et je connais la maison de visu grace à Lost Highway. Me voilà donc parti au volant de ma voiture de location dans les collines à la recherche de David Lynch! Les Hollywood hills sont quand même un sacré labyrinthe hyper sinueux et même en prenant des voies très étroites quasi privées aux noms hispaniques je ne trouvais point de spot Lynchien... l'impossibilité de faire demi tour et les panneaux anxiogènes de la Bel Air Patrol m'ont vite refroidis. Echec.

En février 2007 le nouveau film de Lynch sort en France, c'est Inland Empire, un film qui ferait passer Lost Highway et Mulholland Drive pour des films du dimanche soir sur TF1! C'est tourné en video numérique. Ses thèmes sont toujours là et la narration ... On se demande tout le long du film comment peut tenir debout un tel délire et pourtant ça marche encore. Impressionnant. Lynch est en France pour la promo du film. Après plus de 2 heures d'attente je rencontre enfin le maître, j'assiste à sa masterclass à la Fnac des Ternes toujours en février. Il est heureux de parler à son public, ses doigts ondulent perpétuellement tandis qu'il délivre son message sur l'origine des "idées". Totalement épanouie, voire jovial et obsédé par l'origine des "idées", il oscille entre ésotérisme et drôlerie... mais quel mèche de cheveux!!!
Dans la foulée une grande exposition de son oeuvre artistique (peintures, dessins, photographies) est organisée à la Fondation Cartier. Il est aussi doué pour tout ça, c'est un artiste multitâches, il fabrique aussi des meubles! C'est sans doute le créateur le plus passionnant de ces 20 dernières années.
Bref, ça m'énervait, je devais trouver où il habite! Je pousse les investigations sur internet et je trouve la piste sur un site allemand d'architecture (ne me demandez pas comment je suis arrivé là) où dans une interview Lynch dit habiter une maison construite par le fils de Franck Lloyd Wright. Je tape le nom de la maison dans Google et trouve l'adresse immédiatement. Et cette adresse correspond parfaitement à la zone que j'avais délimitée! Lors de mon voyage suivant à Los Angeles je pouvais allez vérifier de visu... Dans les collines hollywoodiennes, Lynch a ses bureaux dans la maison moderne de béton que l'on voit dans Lost Highway, juste à côté il y a une 2éme maison dans le même style et la fameuse construction de Lloyd Wright, là où il habite, un bloc rose, sans fenêtre avec une sorte de frise couleur bronze aux motifs sud américains primitifs... Une baraque de dingue!!! J'avais du mettre 2 ans mais je l'avais enfin trouvé ce putain de coin hollywoodien! Sa vie semble ressembler à son oeuvre!
En septembre 2009, Lynch a été invité par les Galeries Lafayette pour décorer les vitrines du grand magasin parisien. Le délire Lynchien est bien en place et ses vitrines sont amusantes. A l'étage du grand magasin sont aussi exposés des lithographies du maître... Et là c'est la stupéfaction! Ils expliquent que quand Lynch est venu pour son exposition à la Fondation Cartier en 2007 il a commencé à faire des lithographies dans un atelier de la rue du Montparnasse et ce sont celles là qui sont exposées. C'est à dire que quand je tournais en rond dans les collines de L.A. à sa recherche, David Lynch pouvait être en train de dessiner à Montparnasse, juste à côté de chez moi!
Depuis il fait la météo presque tous les jours pour son site internet, entre autres projets...