dimanche 1 février 2009

Hollywood par Bukowski


Il m'en aura fallu du temps mais ça y est, j'ai lu mon premier Bukowski! Un roman, l'un de ses derniers, "Hollywood". Je ne pouvais pas le rater celui là et bien m'en a pris. A 65 ans Bukowski a un sacré sens de l'observation et de l'analyse. C'est pas 40 ans de picole qui ont alteré son style... Pas de concessions pour les gens du milieu mais du respect et de la sympathie pour ceux qui ont du cran et ceux qui survivent dans les marges du grand rêve américain.

C'est donc l'histoire de Henry Chinaski écrivain alcoolique, qui pond un scénario de film. Chinaski c'est Bukowski évidemment. Il a d'ailleurs le génie des surnoms dans ce livre:  Jon Pinchot, Wenner Zergog, Tab Jones, Jon-Luc Modard, Francis Ford Lopalla, Tom Pell, Ramona, Francine Bowers etc...

Tout ce beau monde se croise à Hollywood au milieu des annees 80 pour faire un film.

C'est le réalisateur Barbet Schroeder qui lui commande le scénario. Bukowski n'a jamais écrit de scénario et le prend comme une expérience nouvelle. Et puis ça sera assez facile pour lui, écrire est naturel alors il livre le scénario rapidement.

A cette époque Barbet Schroeder a fait ses marques en Europe en compagnon de route de la nouvelle vague, producteur des premiers films de Rohmer, réalisateurs de films emblématiques de son époque comme "More" sur les hippies, un documentaire hallucinant sur le Général Amin Dada où celui-ci lui montre ses chambres de torture et un dernier film français en 84 "Tricheurs", avec Dutronc, situé dans l'univers des casinos. Chaque film est une aventure pour Schroeder et il est désormais prêt pour celle hollywoodienne. Il est accompagné d'un certain Steve Baes, acteur et scenariste de "Tricheurs" depuis disparu dans les limbes de l'oubli. Un type du genre hallucinant, un "génie" comme dirait Schroeder. De toute façon il y a beaucoup de "génies" d'aprés Bukowski dans cette histoire... Maintenant que Schroeder a son scénario il cherche un producteur. Sean Penn a vent du projet et contacte Schroeder. Il a envie de jouer "Chinaski" mais seulement sous la direction de son "ami" Dennis Hopper. Les 2 rendent visite à Schroeder à Venice. C'est là que s'est installé Barbet avec son pote le fou, dans le ghetto black de Venice, dans une baraque pourrie où ils jouent leur vie tous les jours en élevant des poules dans le jardin! Schroeder déteste Dennis Hopper et refuse la proposition de Sean Penn (marié à Madonna à l'époque). Bukowski ne sait pas très bien pourquoi ils se détestent mais Schroeder pense que Hopper ne pourrait même pas diriger la circulation alors un film... C'est là qu'interviennent des gens dont on avait oublié l'existence: Menahem Golan et Yoram Globus! Leur compagnie de production, la Cannon, fait une entrée fracassante sur le marché hollywoodien dans les années 80. Ils produisent une série de nanars d'action très rentables aux titres éloquents: "American ninja", "Delta force", "Exterminator 2", etc... Et ils sont très méchants, tout le monde les détestent! Ils produiront quand même on ne sait pourquoi un Cassavetes et une adaptation du Roi Lear par Godard (lui c'était vraiment un génie!) qu'ils ont peu appréciée...

Et ils se lancent aussi dans l'aventure "Barfly" le film de Barbet Schroeder sur un scénario de Bukowski! Ces 2 mecs tarés comme eux doivent leur plaire! En plus Schroeder a réussi à enrôler Mickey Rourke et Faye Dunnaway. Rourke est une star à l'époque. Cela dit les producteurs changent d'avis souvent et ils essaient surtout de réduire les coûts au maximum. Schroeder en a marre et veut récupérer les droits sur le scénario, c'est là qu'il pète les plombs! Il arrive dans le bureau de l'avocat de la Cannon, en présence de Bukowski, avec une 

scie électrique dont il a spécialement choisi la bonne lame pour se couper un doigt. Et il a aussi emmené l'analgésique. Il va se couper le petit doigt s'il ne récupère par ses droits! Même Bukowski est médusé et il faut quand même se lever tot le matin pour faire halluciner Buk à 65 ans. Ca doit être pour ça que le livre est dédié à Barbet... La Cannon rompt et Schroeder garde son doigt. Mais le plus fou c'est que peu de temps après ils décident de re-produire le film!!! Faudrait quand même pas que d'autres puissent gagner de l'argent avec ce projet.

Le tournage peut commencer. Rourke a des caprices de star, il veut une Rolls décapotable de telle couleur et quand il participe à une seance avec un photographe il refuse ensuite que les photos soient publiés. Autrement Mickey Rourke a beaucoup d'amis motards et ne boit pas d'alcool... et c'est pourtant lui qui va interpréter Chinaski! Faye veut une "scène de jambes" alors Bukowski écrit une "scène de jambes". Mais le réalisateur et le scénariste ne sont pas payés, on est au bord de l'arrêt du tournage après les chèques sans provisions reçus par Bukowski et Schroeder. Mais ils prennent Golan et Globus à leur propre jeux en menaçant de publier une page de pub dans Variety avec les photos des chèques rejetés sur des comptes bancaires de pays exotiques au nom de la Cannon. Schroeder est vraiment un tueur et la suite de sa carrière le prouvera avec le droit de diriger des grosses productions américaines de qualité: "Le mystère Von Bulow", "JF partagerait appartement", le remake de "Kiss of death" avec Nicolas Cage et puis son excellent film tourné clandestinement en vidéo au milieu des gangs de Medellin "La vierge des tueurs".  

Pendant ce temps là Bukowski picole, va aux courses et ... roule en BM! C'est son conseiller fiscal qui lui a dit de dépenser tout son argent alors il a acheté une BMW noire et une maison mais sans conviction... Et puis il est tous le temps fourré chez Musso & Frank la brasserie hollywoodienne où décidément tous les écrivains-scénaristes d'Hollywood auront pris leur cuite. Mais à la différence de tous ces légendaires prédécesseurs, Bukowski est chez lui à Los Angeles. C'est sa ville et le cinéma n'aura été qu'une petite péripétie dans sa vie quotidienne rythmée par les courses, l'alcool et la poésie.

1 commentaire:

Balder a dit…

Excellent article.
Heureusement que Charles est la pour nous sortir des villégiatures dorées de l'intelligentsia littéraire élitiste et pompeuse des colloques et des salons.
Écrire c'est aussi autre chose.

The difference between life and art is art is more bearable.
CB